Pourquoi avoir choisi le Grand Mix pour préparer la tournée de votre prochain album ?
En France il y a de belles salles. Certaines plaisent plus que d'autres. Le Grand Mix est de celles-là. Elle a très bonne réputation, les artistes qui y passent en gardent un excellent souvenir, ce qui est notre cas. Nous avons joué il y a un an et demi et l'on garde un excellent souvenir de cette date. Ensuite c'est la volonté cumulée des personnes qui s'occupent de cette salle et qui souhaitent en faire un outil de travail pour les artistes qu'ils aiment et choisissent d'aider. Nous sommes heureux de faire partie de ce choix. Et puis il y a cette envie vis à vis d'une région que l'on connait assez peu, même si Paris n'est pas si éloigné que cela.


On cite Charles Pennequin parmi vos influences, vous avez joué de nombreuse fois dans la région ; que se passe-t-il entre vous et nous ?
C'est vrai que nous avons déjà joué à la Péniche, à la Condition Publique, au Grand Mix, à Béthune.. Pennequin je l'ai cité quelques fois. Etant un lecteur de poésie régulier, quotidien, mes goûts et mon appétit m'ont fait cheminer vers des auteurs contemporains comme Pennequin donc, mais aussi Christophe Tarkos. Ces deux- là m'ont assez bouleversé. Pennequin vous installe dans une sorte de situation volcanique. Sa manière d'utiliser la langue, comment la parole jaillit de lui. C'est une forme de double nerf conscient puisqu'il est conscient de cette prise de parole- là et en même temps, il fait jaillir des sortes d'injonctions formant une langue à la fois enfantine, adulte et parfois d'outre-tombe et finalement je trouve ça simplement très beau.

Après le succès critique et public d'Hypernuit, comment gérez-vous la sortie de PARCS ?
Chaque sortie d'album et plus généralement à chaque fois que l'on donne à entendre ou à voir à autrui quelque chose qui nous tient à cœur et pour lequel on a donné de son temps et de son énergie, on a toujours ce double sentiment de crainte et d'enthousiasme et même d'une certaine hâte à confirmer ce geste- là. Forcément on se demande si les gens qui ont aimé Hypernuit vont apprécier Parcs. Mais de toute façon, il y a toujours un côté fortuit. Evidemment, on ne va pas refaire le même album mais on espère qu'il rencontrera la même attention. Après tout, ça reste un album de Bertrand Belin pour parler comme Alain Delon.

Est-ce pour échapper à la chanson et faire valoir votre statut de musicien que vous avez choisi de partir enregistrer à Sheffield ?
Prosaïquement c'est sur les conseils de Chet qui est conseiller artistique pour le label 5/7. Il m'a conseillé de rencontrer Mark Sheridan. Je suis parti à Sheffield pour voir, avec un peu de matériel pour enregistrer et finalement j'ai écrit presque la moitié de l'album là-bas. Et puis Chet avait raison, je me suis finalement découvert pas mal d'atomes crochus avec Sheridan, bien évidemment sur la musique et la manière de la pratiquer. De là est née une complicité qui s'est concrétisée dans notre travail

Parmi tous ces groupes de Sheffield, desquels vous sentez-vous le plus proche : ABC, Arctic Monkeys, Babybird, Derek Bailey, Cabaret Voltaire, Jarvis Cocker et Pulp, Joe Cocker, Def Leppard, Heaven 17, Human League, LFO...
Honnêtement aucun et surtout pas Arctic Monkeys. On s'en rend vraiment compte quand on va à Sheffield et que l'on entend les groupes qui ont 17 ans répéter dans le studio mitoyen, on sait pertinemment que l'on ne sera jamais comme eux. Finalement dans le côté 60's de Richard Hawley, dont Sheridan fut guitariste, je trouve une filiation plus évidente, notamment dans la passion de la croone etc. Avec les moyens qui sont les miens : étant français, chantant en français ayant pour devoir de faire aussi un discours sur les formes musicales...sans quoi on deviendrait Dick Rivers ou je ne sais pas quoi

Pour votre carte blanche aux Correspondances de Manosque en 2011, vous revendiquiez un faible pour Christophe Tarkos, Philippe Jaccottet, Roberto Juarroz, Charles Pennequin, Melville et Lowry...D'où vous vient cette passion pour la littérature et notamment la poésie ?
Je viens d'un milieu populaire, issu d'une famille de pêcheurs et j'ai deux frères qui sont encore pêcheurs. Moi- même, j'aurais pu devenir pêcheur. Etre pêcheur ou cosmonaute n'empêche pas de s'intéresser à la poésie, mais d'où je viens trouver des nourritures spirituelles ou intellectuelles ne faisait pas partie des prérogatives quotidiennes. Le premier livre que j'ai lu, ou fait semblant de lire, c'était sans doute sous la menace d'un proviseur. En ayant lu si tard, j'ai été véritablement allumé par ce monde bis que se révèle être la littérature. Je m'y suis plongé entièrement, par revanche, par extraction sociale, tout simplement

Et comment êtes- vous passé de lecteur à auteur ?
Auteur ? Je ne sais pas si j'en suis véritablement un. De même que j'ignore s'il y a un lien entre le lecteur que je suis et l'autre qui écrit. J'écris des chansons surtout. Des choses assez courtes. On ne peut pas appeler cela vraiment de la poésie, même si cet acoquinement avec la musique apporte une certaine proximité. Mais c'est autre chose la chanson.

Vous n'êtes pas un poète qui se cache derrière la musique ?
Si en fait. Les poètes que j'apprécie particulièrement peuvent être qualifiés de kamikaze par rapport aux canons habituels de la littérature. En chanson, avec l'aide de la musique, le risque est moindre, ce n'est pas un sacerdoce. C'est plus courageux d'être un poète. Un poète ça a moins à voir avec les mots qu'avec une profession de foi, un engagement complet de chaque jour.

Cette forme de concert mêlant lectures et musique occupera- t-elle une place dans votre nouveau spectacle ?
Mes entrefilets ou interventions tiennent plus du rapport spontané avec le public que de la mise en scène préméditée. La prise de parole, l'humour sont une manière naturelle de communiquer. Mais j'aime aussi créer des situations de vertige, des pentes un peu savonneuses, des zones de risque où sur scène on est obligé de prendre la parole sous des formes non conventionnelles avec une parole étrange dans un pacte, une nouvelle zone d'expression avec le public.

Participer à ce type de projet ou comme cette création Cachalot pour Arte Radio, ce sont des choses qui font partie de vos bouffées d'oxygène ?
Dès lors que les projets participent à un lien plus ou moins direct avec la musique, avec la parole ou autour de ce que l'on pourrait appeler la poésie, j'ai plaisir à aller dans ces périphéries- là

Musique, littérature, création radiophonique...envie de toucher à d'autres formes d'art ?
Ecrire et faire de la musique me satisfont pleinement. J'ai un autre projet qui se concrétise dans le registre du théâtre, mais qui intègre également de la musique. Donc ce n'est pas tout à fait un saut dans l'inconnu pour moi

Après votre ouvrage, Sorties de route, (Collection Le Carré, La Machine à Cailloux) Bertrand Belin écrivain hors du champ musical c'est possible ?
C'était une commande, pour une collection se focalisant sur les chanteurs. Je suis occupé à écrire un livre, mais c'est avant tout l'acte d'écrire avant sa forme ou sa destination qui me plait. J'accumule. Sans doute quelque chose qui veut devenir quelque chose mais pour l'instant je laisse cela aux autres.

On évoque souvent des chanteurs français pour décrire votre univers (Bashung, Brassens, Manset, Murat, Dominique A), plus rarement vos influences américaines très rock'n'roll et country, mais aussi la scène indé (Will Oldham, Bill Callahan).
Il y a beaucoup d'espace entre toutes ces personnes. Ce que j'aime chez Oldham ou Callahan c'est leur propension à renouveler le vocabulaire trad et folk, ils parviennent à discourir. En tant que français, je suis obligé d'avoir un rapport d'amour et de suspicion envers ces formes si classiques de la musique américaine. Je ne veux pas être un type qui fait de la musique américaine. Il faut qu'il y ait une part d'invention à soi. J'ai également écouté beaucoup de rockab, les crooner etc.

Vous aimez aussi écrire pour les autres : Delphine Volange
Ce n'est pas un exercice que j'apprécie particulièrement. J'aime le résultat mais moins le chemin pour y parvenir. Je ne cours pas après. C'est une obligation à revenir vers le tangible, la clarté. J'ai beaucoup de confiance dans l'auditeur vis à vis de mes textes. Les personnes qui me demandent des textes sont moins confiants et demandent plus de lisibilité, d'où mon peu d'enthousiasme à aller plus loin.

Un album de reprises idéal de poèmes et/ou de rock'n'roll ça donnerait quoi ?
Il m'arrive de faire des reprises, surtout des vieilles chansons françaises. Si je devais faire un album de reprises, il y aurait à coup sûr Mellocoton et Les Tuileries, d'après Victor Hugo, de Colette Magny. A bicyclette de Pierre Barouh et Yves Montand, des vieilles chansons comme J'en ai passé des Nuits popularisé par Piaf...Si j'avais le temps j'ajouterais également ce slow « I Love You » sur le premier album d'Elvis et puis aussi Trying To Get To You du même disque et puis encore Elvis avec I monk To Cop. Et puis des morceaux de Buddy Holly, de Roy Orbison. Mais ce n'est pas un projet en soi.

Et vos musiciens c'est un backing band ?
C'est un groupe, on travaille ensemble depuis longtemps. Certes on n'a plus 18 ans, chacun fait ce qu'il veut. Ce sont d'excellents musiciens qui ont d'autres projets, d'autres groupes. Tatiana Mladenovitch est une formidable batteuse et son groupe Fiodor Dream Dog est assez exceptionnel. Jean Yves à la basse joue avec Ashburn et a joué avec Syd Matters. Thibault joue en ce moment avec Pauline Croze.