Sortir : Comment se passe la répartition du travail entre vos différentes casquettes ?

Run : J'ai maintenant davantage de boulot en dehors de la réalisation de ma bande dessinée, cela nécessite une organisation différente. Il faut consolider certaines choses et mettre de côté d'autres projets. Le travail sur le long métrage est également très consommateur de temps. Il faut tout réécrire car la démarche est différente. Il est impossible de mettre toute la bande dessinée à l'écran, ce qui implique des choix narratifs mais aussi un gros travail d'explication avec l'équipe japonaise qui travaille sur le projet, notamment parce que nous n'avons pas les mêmes références culturelles. Ça me force aussi à remettre à plat toute l'histoire, à davantage intellectualiser le récit, ce que je ne faisais pas forcément jusqu'alors. Je savais où j'allais mais pas toujours très consciemment. En retour, l'approche du film rend la bande dessinée plus riche. C'est un média plus souple et je suis plus libre d'y faire ce que je veux. Le format permet aussi de raconter davantage de choses, du coup je pense que la bande dessinée composera une version plus complète, plus enrichie de l'univers. Le fait de mener les deux de front est en tout cas un exercice intéressant.

Sortir : Le travail sur la bande dessinée a-t-il évolué depuis le premier tome ?

Run : Je suis un peu plus organisé qu'avant, un peu plus discipliné dans mon approche des planches. Quand je suis moins motivé, je me garde de côté les planches plus fun, celles que je vais prendre plus de plaisir à faire. J'avance à mon rythme sans forcément travailler dans l'ordre, dans une totale liberté. C'est ça qui est formidable ici à Ankama, c'est qu'on m'a confié une carte blanche. J'ai essuyé beaucoup de refus à l'époque, on trouvait le projet rétro un peu brouillon. Ici, j'ai été accueilli à bras ouverts

web lire mutafukaz run.jpgSortir : Ensuite est né le label 619...

Run : C'est ça. J'avais envie avec plusieurs auteurs d'explorer des choses différentes. En jouant sur les formats et sur le ton. Mon travail c'est de m'assurer de la qualité de nos productions et de leurs cohérences. On a la chance de travailler avec des gens comme Florent Maudoux, Guillaume Singelin ou Thomas Bablet autour de la volonté de faire découvrir des choses. Ça nous permet d'explorer des univers différents et des approches différentes.

Sortir : Le ton, le format et le découpage de Mutafukaz se veulent très libres, intercalant des cahiers proposant une approche graphique différente ou des inserts informatifs étonnants. Un choix volontaire ?

Run : J'ai un sens du détail très poussé. Du coup, même quand je raconte une histoire dopée au fantastique, j'ai besoin, pour la raccrocher à une certaine réalité, de l'inscrire dans des principes forts. D'où, parfois, des petits à-côtés qui éclairent l'histoire sans la faire trop dériver. Il en va de même pour les expériences visuelles, comme lorsqu'on propose des pages en 3D à l'ancienne. C'est à la fois un challenge pour nous et une façon de rapprocher le lecteur de l'action et de l'impliquer dans ce qu'il lit. Il existe au cinéma des tas de façon d'impliquer le spectateur, dans la bande dessinée –surtout européenne-, les cadrages sont souvent sages alors qu'il y a de nombreuses façons d'aller chercher le lecteur pour le mettre au cœur de l'action, le glisser dans la peau d'un personnage ou l'amener progressivement à se concentrer sur un détail. C'est aussi un plaisir narratif de pouvoir se permettre ces approches différentes. De façon général, la démarche du label 619, c'est un peu celle-là : jouer avec les codes du graphisme. Nos ouvrages sont tous différents et nous prenons un soin particulier à donner à chacun une identité propre. Un livre est un objet en soi, c'est important pour nous de le traiter comme tel.