Tout commence avec le souffle, celui du vent, d’abord, puis de l’homme et sa flûte, comme une longue incantation aux esprits du ciel et de la terre, un halètement qui s'achève dans un cri rauque. Tout fini avec un corps nu couché, entre temps, la vie… Douleur, amour, combat. Les corps se frôlent, se touchent, avancent, reculent, se lèvent et s’écroulent avec ou sans musique. Et c’est peut-être là un des aspects les plus surprenant du nouveau spectacle d’Anne Teresa de Keersmaeker créé en Avignon cet été et qui n’en est pas à une provocation près. On peut d’ailleurs constater qu’après l’impasse des 3Abschied dans lesquels elle ne dansait presque plus et laissait les gestes au bord de l’évanouissement, [En atendant], plus accessible, bien que très troublant fait figure de renouveau dans un décor où le presque rien est déjà de trop. Alors un banc et une ligne de terre suffisent aux danseurs, au flûtiste et aux musiciens de l’Ensemble Cour & Cœur (musique du XIVe s.) qui jouent « live » sur la scène pour tisser de magnifiques contrepoints sonores et gestuels en dialogue avec le silence qui désarticule les corps sur le seul rythme du souffle. On attend quoi au juste dans ce spectacle, sinon, de voir la nuit succéder au jour en harmonie avec la violence épileptique des gestes solo et la délicatesse des ensembles. Anne Teresa de Keersmaeker nous prouve que l’on peut danser sur le souvenir de la musique et nous voilà suspendu dans un entre-deux, entre chien et loup, entre apesanteur et attraction terrestre, entre musique et silence, entre vie et mort.