théâtre

Dire l’indicible…

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Charles Tordjman met en scène Slogans de Maria Soudaïeva, un texte brûlant, une incantation proche du délire à couper le souffle !

Magistral, émouvant, juste et terrible … Dire l’indicible et montrer l’insoutenable en rendant supportable l’insupportable, tel est le pari réussi de ce spectacle, car c’est bien de théâtre qu’il s’agit et quel théâtre ! Celui qui depuis les Grecs sait dire la tragédie humaine et politique. Comment rendre avec des mots l’absurdité de la souffrance et de l’asservissement des femmes par les hommes en ce début de XXI ème siècle ? Il fallait peut-être la folie de la poétesse anarchiste Maria Soudaïeva qui se suicida en 2003 dans un asile psychiatrique à Macao. Enfermée dans sa douleur et ses multiples crânes et ventres, elle raconte un monde bestial dans lequel l’être humain, broyé par une implacable machine qui, dans le cas présent, s’appelle la mafia russe.Que reste-t-il de l’Homo Sovieticus, des jeunes pionniers aux foulards rouges – avenir de l’URSS - après la chute du communisme et avant la « fin de l’espèce humaine » ? Un étrange pays où le mal opère à visage découvert, où le chaos et la violence règnent en maîtres et où plus personne n’a rien à espérer de l’avenir à moins que la lueur soit à chercher du côté de la résistance et du fragile pouvoir des mots et de la poésie.

 

« Il y avait une immense tache rouge sur la carte du monde… Vous vous rappelez ? » Soudaïeva/Volodine

Cocktail détonant, ce texte a bouleversé le metteur en scène Charles Tordjman qui a parfaitement orchestré les voix de Maria, Ida Jerricane, Serena Malvachenko et Susy Vagabonde qui s’entremêlent dans un contrepoint infernal entre hurlement et étranglement pour porter à nos oreilles cette langue inouïe aux limites de l’absurde. L’engagement physique des comédiennes est absolu, comme le texte et ce jusqu’auboutisme de la violence auquel on n’ose croire. Cette formidable performance d’actrices, au fond de la cale d’un vieux cargo abandonné à Vladivostok dans lequel se joue le drame d’Ida et Serena - deux prostituées en fuite rattrapées par la mafia russe - met le corps au centre. La peur, tel un fil rouge, traverse toute la pièce qui tient de la cérémonie chamanique, dialogue fulgurant entre le ciel et l’enfer, les vivants et les morts. Quand le rythme de la diction s’emballe et fait vibrer les corps, la douleur s’efface devant le théâtre. Dislocation du sens, écriture psychanalytique … On pense à Novarina dans ce souci de ne pas donner la première place au sens des mots et de privilégier « le courant qu’il y a dans le texte, le phrasé, le coulé … » nous dit Agnès Sourdillon qui joue Maria. L’incision dans les Slogans de Maria Soudaïeva des Vociférations d’Antoine Volodine ajoute de la barbarie à la barbarie mais aussi de la poésie et quand le texte de Maria est énoncé calmement, l’autre, celui de Volodine est hurlé, scandé, quasi chanté à la manière d’un rituel qui nous échappe tant il renvoie à des forces obscures. Slogans est une pièce qui sonne magnifiquement à condition d’abandonner toute raison raisonnante et de s’ouvrir à d’autres mondes. Ne serait-ce pas là une invitation à ouvrir son inconscient pour mieux appréhender le monde qui vient ?

 

Publié le 10/02/2008 Auteur : Françoise Objois

Du 27 février au 2 mars - Théâtre du Nord, 4, place du Général de Gaulle, Lille, Tél : 03.20.14.24.14

Mots clés : théâtre