Sortir : Pourquoi un spectacle "raconté" ?
Richard Bohringer :
Vous savez, moi, je suis un griot, je raconte la vie des autres... Je trouve la mienne un peu plus facile de temps en temps, parce que je vis de ce que j'aime, mais je reste très attaché à ceux qui ont des choses à dire, à confier. Au final, je ne suis qu'un passeur, j'ai fait ça toute ma vie vous savez : là, je le fais seul sur scène, comme j'ai pu le faire accompagné, dans des films ou au théâtre. Mais quel que soient nos différences de vie, on se retrouve tous à la case émotion. Les gens ont besoin de partager, que ce soit à Paris, en Province ou à la campagne, ils ont besoin dans leur vie qu'on vienne vers eux, c'est important.

Sortir : L'écriture, c'est quelque chose que vous affectionnez depuis toujours ?
R. Bohringer :
Oh ça, j'ai commencé à écrire à l'âge de 17 ans, j'ai même fait partie du mouvement Beatniks, je suis parti à New-York pour ça... À partir de là, ma voie était toute tracée : l'écriture, c'est une vraie volonté profonde, pas une sorte d'activisme venu par hasard. Mais très profondément, très politiquement même, je pense que tout le monde est artiste, ok. C'est comme aimer une femme : chacun aime de façon différente, mais au final le sentiment amoureux est le même. Là, c'est simplement que beaucoup de gens n'ont pas eu la possibilité de lire beaucoup de livres, ils ont été bousculés par la vie, à faire des métiers qui ne leur plaisaient pas, et du coup pensent que l'artiste est un être à part. Moi, dans mon spectacle, je parle de tous les artistes lambdas, le chagrin, les blessures, c'est en eux que je vais chercher ma propre vie. Je ne suis qu'un ramasseur de tout ça et pouvoir le rendre aux gens, c'est magnifique.

Sortir : On vous sent proche des gens...
R. Bohringer :
Vous savez, j'ai été beaucoup aidé dans ma vie par des adultes, et lorsque je suis devenu adulte, j'ai aidé des gens dans le besoin comme moi à l'époque. Je ne veux pas être différent des gens, c'est pour ça que le mot "artiste" me fait chier, comme s'il y avait les artistes et les autres, et ben non ! Le mec, livreur, il va fumer une clope, le mec il a 10 minutes, il va te confier un morceau de sa vie qui va t'étreindre, te rendre compassionnel, qui va te rapprocher de lui quoi... Tout le monde possède le sens du beau. Moi, je vis la vie du plus grand nombre, je suis un prolétaire des gens. Je suis pas dans une démarche de spectacle subventionné, avec une grande idée sur ce qu'il fait sur scène... Je suis un homme de spectacle, avec beaucoup de blessures et les blessures des autres qui me touchent. Et puis je ne fais que rendre, ce sont les gens de la rue qui font que je suis populaire et que je vais encore à leur rencontre... à 70 ans, c'est bien.

Sortir : De qui parlez-vous donc dans ce spectacle ?
R. Bohringer :
Oh ça part un peu dans tous les sens, des prostituées aux boxeurs, mais le tout, c'est une sorte de représentation mystique de l'Homme... Je suis près des gens qui ont mal, et ce n'est pas qu'un discours, ce sont aussi des actes. Par exemple, je vais faire un spot pour les chiens d'aveugle, gratos hein, évidemment. Et ben, je suis très heureux de faire ce spot : je vois le chien travailler, le bonheur qu'il donne à l'aveugle, du coup ça vient du coeur, je fais le spot. C'est aussi le règne animal qui vient au secours du règne humain.

Sortir : Comment ça se passe du coup sur scène, avec le public ?
R. Bohringer :
Les gens me semblent heureux : encore une fois, ils me le rendent, donc voilà. Je parle de tout dans ce spectacle, de l'escroquerie du discours politique, de tout ça... Moi, je ne me reconnais pas dans c'qui se passe, et on est des millions dans ce cas. Et puis la jeunesse a besoin qu'on lui dise que si elle se bouge, il se peut que ce soit eux qui changent les choses. Si les jeunes descendent dans la rue, je descends avec eux, putain !... au premier rang, j'y suis, c'est tout ! Je vois mon fils, il a décidé de ne pas se servir de son nom, le piston tout ça, dans la vie de tous les jours, je suis fier de ça, eh ben il trouve pas de taf ! Je vois les difficultés qu'il traverse... alors tant qu'il y a de la vie, sur scène, il faut l'exprimer : il faut le faire, c'est un acte.

Sortir : La flamme est toujours là...
R. Bohringer :
Je suis motivé, j'ai pas envie de me la raconter quand je vois la misère, j'ai pas envie de rouler en Porsche et de passer devant les gens, comme ça... J'ai envie de lever la voix pour les autres, je le fais à ma façon.