Sortir : Après de nombreuses années d'un travail local constant le travail de programmation d'une saison culturelle est-il devenu différent ?

Chantal Lamarre : Le travail de fond n'a pas tellement changé, il s'agit toujours, pour nous d'agréger des productions et des artistes qui font sens. Ce que je constate, par contre, c'est qu'en ce moment, il y a de plus en plus de spectacles engagés. Nous faisons également en sorte d'avoir un œil sur les artistes de la région, il serait aberrant de n'être pas attentif à leurs propositions et de ne regarder qu'ailleurs. Malheureusement, ce qui est constant c'est que nous rencontrons bien plus de projets intéressants que nous n'avons de place dans notre programmation. Dans la saison comme dans l'accueil à la Fabrique, nous n'avons pas de règles ni de quotas. L'équilibre se fait naturellement entre les propositions selon les projets et les rencontres. A chaque fois c'est une rencontre qui est à la base de nos propositions.

 

Sortir : Le travail de la Fabrique Théâtrale est-il toujours aussi intense et important ?

C. Lamarre : Plus que jamais. Les demandes sont très nombreuses et la Fabrique nous permet aussi de suivre plus facilement des projets locaux, ce qui ne nous empêche pas d'accueillir des artistes et des compagnies venues de loin bien que cela coûte de plus en plus cher. Le fait d'avoir accès à ce lieu de fabrication artistique nous ouvre un large champs de propositions artistiques. Même si tous les accueils ne débouchent pas sur des coproductions, cela nous permet de rencontrer beaucoup d'artistes et d'initier beaucoup d'échanges avec la population. Le public est régulièrement informé des résidences et des démarches d'action culturelles mises en place, j'insiste toujours auprès des artistes pour qu'aient lieu des rendez-vous avec la population. Tout ça implique un très gros travail de terrain.

 

petiteshistoirescom.jpgSortir : La rencontre avec le public est-elle devenue plus aisée au bout de 20 ans d'activisime sur le terrain ?

C. Lamarre : C'est un travail permanent. Nous imaginons des outils de communications pour toucher le maximum de monde mais il reste dans ce territoire beaucoup de gens qui ne se sentent pas légitimes à découvrir la culture. Ce que nous avons appris, c'est que les relations humaines directes ont le pouvoir de changer cela. Cela demande du temps parce qu'il faut aller à la rencontre de chaque personne mais c'est extrêmement enrichissant. C'est pour cela que nous basons nos actions de médiation sur la relation directe avec les publics : quelqu'un va chercher quelqu'un d'autre. Les gens doivent se sentir concernés, à nous de leur montrer que la culture est quelque chose de plaisant, de développer leur sens critique de les faire parler. Il faut sans cesse recommencer mais c'est essentiel et c'est le cœur de notre travail.

 

Sortir : Qu'est-ce qu'ont changé la présence et le travail de Culture Commune dans le bassin minier ?

C. Lamarre : Culture Commune a fait bouger les lignes. Il y avait un fort intérêt dans le projet au moment où il a été lancé et notre travail reste très suivi. D'autres questions se posent à nos aujourd'hui, notamment, celle des moyens qui est devenu criante et primordiale si l'on veut garder le même niveau d'exigence et d'ouverture aux gens. Culture Commune, c'est la mobilisation de 30 communes sur un territoire très morcelé de 3 communautés d'agglomération. Par ailleurs, Culture Commune est inscrite depuis 10 ans dans un projet européen d'envergure avec la ZEPA (Zone Européenne de Projets Artistiques, NDLR) et son travail sur les arts de rue entre 5 structures anglaises et 4 françaises dont Culture Commune via Z'Arts' Up notamment. Nous inventons une communauté de travail nouvelle tout en cherchant une façon meilleure de travailler avec les habitants. C'est peu dit, mais de ce côté là, l'Europe est une réussite sans égale parce qu'elle offre des moyens d'expérimenter, d'inventer et de toucher les gens autrement. Les programmes Interreg, de ce point vue sont une grande réussite. L'Europe de la culture, c'est une démarche de tolérance, d'échange et d'ouverture. C'est la réussite de ce projet politique fort. La création artistique est essentielle, mais le cheminement pour arriver jusqu'au spectacle fini l'est tout autant, de même que l'implication et la rencontre avec le public. D'où des actions fortes sur le territoire aussi et une démarche engagée via l'Agenda 21 de la culture qui promeut et défend une réflexion durable (écologique et économique NDLR) sur le territoire et avec ses habitants.
Mais le bassin minier a beaucoup changé en 20 ans, notamment sa population. Le territoire s'est aussi doté d'outils de culture et il nous faut nous adapter à cela pour nous investir surtout là où il reste des zones d'ombre sur un territoire complexe mais passionnant.

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Sortir : Qu'en est-il des projets de Culture Commune au bout de 20 ans ?

C. Lamarre : Nous sommes implantés sur le site du 11/19, cela signifie beaucoup de choses pour nous. Notre travail vise aussi à défendre et promouvoir le patrimoine du bassin minier pour envisager le tourisme comme une manière de redynamiser un territoire. C'est pour cela aussi que nous avons poussé la réflexion et les discussions sur la construction d'une salle de spectacle sur le site qui outre qu'elle renforcerait son attrait, offrirait à Culture Commune un espace de diffusion nouveau, complémentaire de ce qui existe sur le secteur. Mais notre lieu, ce ne sont pas simplement les murs, mais tout notre territoire. Ça pose parfois des problèmes de logistique ou de gestion mais c'est très stimulant.

 

Sortir : Après toutes ces années, l'engagement est-il toujours le même ?

C. Lamarre : Bien sûr, il nous faut continuer à être sur tous les fronts de la politique culturelle. La culture est toujours en débat, les politiques ont toujours la tentation de définir la culture, de l'enfermer, de l'instrumentaliser ou de la réduire. C'est à nous d'occuper le devant de la scène, de les forcer à en parler, à réfléchir. La culture du XXIème siècle reste à définir mais les défis écologiques, économiques et humains sont énormes. On nous parle toujours d'argent, on nous accuse de coûter cher mais la culture ne coûte pas si cher que cela. Ce qu'il y a c'est que personne n'a jamais évalué l'impact économique de la culture en emplois induits par exemple. L'argent de la culture ne dort pas, il ne spécule pas : il circule, irrigue des territoires via les artistes qui y travaillent et y résident. Cette dimension n'est pas la seule non plus : nous créons de la vraie richesse humaine en plus du lien social que nous contribuons à retisser, notre fierté, c'est de partager une capacité à vivre ensemble, à échanger à partager.
Trop longtemps, on a laissé dire que la culture était élitiste. Rien n'est plus faux : l'action culturelle va là où se trouve les gens, elle va les chercher chez eux et c'est ce qu'il faut défendre contre l'embrigadement possible des esprits qu'affectionne les extrêmes. Notre engagement va a la défense d'un projet de société commun, la culture ne peut pas partir seule en guerre contre les extrêmes, l'ignorance et la bêtise. C'est cela qu'il faut faire entendre aux politiques, particulièrement en cette période électorale où la culture semble oubliée de tous.