Où est passée Mauricette ?

 « Ce roman a été écrit entre août 2008 et avril 2009 alors que j’étais en résidence d’écrivain sur le site de l’Etablissement Public de Santé Mentale d’Armentières - Lille Métropole, au G18, dans le service de psychiatrie générale dirigé par le Docteur Christian Müller », nous dit Lucien Suel qui après « Mort d’un jardinier » signe avec cet ouvrage son second roman. C’est avec une magistrale maîtrise de la narration et dans une langue qui croise récit et divagations poétiques qu’il nous conte l’histoire de Mauricette, 75 ans qui a disparu de l’hôpital où elle est censée soigner une vie explosée par la douleur et où drames et malheurs se sont enchaînés pour créer un champ de ruines qui menace de l’engloutir. Mauricette est une vieille dame très attachante qui a bien du mal à recoller les morceaux de sa mémoire éparpillés depuis les enchaînements de catastrophes que l’on pressent au fil du récit. Folie et poésie vont bien ensemble.

 Jouer avec les mots, leur place dans la phrase, leur ordre, leur son, leur sens… à ce jeu-là Lucien Suel est un virtuose, car écrire, ce n’est pas seulement raconter une histoire, c’est la raconter autrement. On suit ici le lent naufrage de la pensée ordonnée, celle qui fait de nous des êtres sociaux et qui relègue les fous et les poètes de l’absurde aux marges de nos sociétés. Les mots jonglent, s’entrechoquent - tant pis s’ils ne retombent pas là où ils devraient - et tissent un perpétuel aller-retour entre passé et présent, folie et normalité. L’enfermement fut-il psychiatrique est-il la meilleure solution pour guérir les dépressions sévères ? Mauricette nous livre petit à petit le mystère de sa vie qui remplit les pages d’une émotion presque palpable. Le livre s’achève dans l’espérance qui existe au-delà des murs de l’EPSM d’Armentières. Une petite bulle de bonheur possible apparaît, la mer, la lecture, la poésie et l’amitié peut-être, pour tout sauver et que Mauricette, même si elle n’a plus toute sa tête, vive simplement et librement sa folie, loin de nos critères de normalité.