Yves Saint Laurent n'est pas mort. Ainsi s'éteint le film de Bertrand Bonello, dans un dernier plan clin d’œil et fantasmagorique où Gaspard Ulliel, qui campe le célèbre couturier, affiche un sourire entendu, alors que des journalistes cherchent la titraille de l'édition qui annoncera sa disparition. L'icône de la mode a attiré la convoitise de deux productions presque coup sur coup (le film de Jalil Lespert avec Pierre Niney dans le rôle-titre n'a que quelques mois). Ici, le réalisateur de l'Apollonide joue du début à la fin de son film des contradictions du personnage qu'il s'applique à mettre en scène.

 

Il a quelque chose d'organique dans ce Saint Laurent là, pour reprendre le titre du premier film du cinéaste, auquel se mêlent des traits plus éthérés. Un regard qui traverse sa filmographie et dont il ne se départit pas. Bonello brouille les pistes, croise les facettes d'une personnalité hors-norme, joue en permanence avec passé et présent, bruits de couloirs et réalité, s'amuse avec l'image du couturier, mythe, fantasme ou âme esseulée. Ce n'est pas tant la vie de l'homme dans les grandes dates de sa vie qui intéresse le cinéaste, qui détourne les codes d'un biopic classique et renverse la chronologie pour rendre une image d'YSL, par petites touches, elliptiques, qui dessinent les contours passionnants d'un être insaisissable. Le réalisateur travaille la psychologie du personnage dans de longs plans à l'esthétique envoûtante, voire planante quand viennent s'y mêler les lumières de la nuit et les visions d'un modèle bigger than life. A force d'insistance pour renforcer ses procédés stylistiques, le film s'étire peut-être un peu trop sur la fin, passe sans doute trop rapidement sur certains traits de caractère (comme lorsqu'il vire une collaboratrice au détour d'un déjeuner solennel alors qu'il vient de lui prêter de l'argent), mais la richesse avérée de l’œuvre vaudra bien plusieurs visionnages pour en mesurer toute la puissance lyrique.