Sortir : Comment se porte votre compagnie le Spoutnik Theater ?

Thomas Piasecki : Notre spectacle Sisyphski connait en ce moment ses dernières dates. Il aura été joué une cinquantaine de fois dans des lieux et des endroits très variés, ce qui est très important pour moi. Le fait qu'il ait été présent à Avignon fût très précieux pour la vie du spectacle et nous avons du coup pu tourner beaucoup avec cette pièce. En ce moment, je travaille sur notre prochain spectacle qui s'intitulera Ferien, ou comment j'ai décidé de tuer un leader politique, il sera créé en novembre à Grenay avant d'être accueilli à la Verrière. Il s'agit d'un récit à quatre personnages que l'on suit de leur entrée dans un gîte au début du week-end jusqu'à leur départ le lendemain.

Sortir : Comment se passe le travail à la Verrière justement ?

T. Piasecki : C'est un vrai duo et un cheminement agréable. Notre première saison ensemble est quelque chose qui prend du temps mais cela me plaît. Le travail sur les Imprévus et la rencontre avec des auteurs offrent de jolis moments à partager avec le public et c'est dynamisant et valorisant de participer à la réflexion quant à la vie d'un lieu comme celui-ci. Nous travaillons à créer un lien fort avec les spectateurs avant et après le spectacle. La salle est vraiment un atout avec des conditions d'accueil rare. Avec nos camarades de la Découverte, nous voulons continuer à faire de l'endroit un espace d'accueil et de rencontre, c'est vraiment cela qui nous enrichit. Il ne faut jamais perdre de vue que nous faisons tout cela avec de l'argent public et que lorsque nous l'utilisons ce doit être de la meilleure façon possible.

Sortir : Justement, question moyens, le travail de création est-il plus difficile en ce moment ?

T. Piasecki : Indéniablement la situation est plus compliquée, j'avais prévu de monter Crépuscules, la dernière partie de ma trilogie mais comme elle implique 12 collaborateurs, je n'ai pas les moyens de monter ce spectacle actuellement. Le projet est donc décalé d'un an au profit de Ferien, ce qui me permettra peut-être de trouver de nouveaux partenaires pour Crépuscules. Je suis content de faire Ferien, mais quand les compagnies se mettent à ne monter que des solos parce qu'elles n'ont pas le choix, cea devient problématique. Un solo voulu et choisi, c'est un support formidable mais à partir du moment où la création artistique est contrainte par les moyens, est-elle encore vraiment libre ? Je ne crois pas malheureusement... Aujourd'hui, les projets un peu amples sont très difficiles à monter et quand cela se généralise, ça devient un problème.

Sortir : Cela remet-il en cause la création artistique et la survie des artistes ?

T. Piasecki : Plus généralement, monter et faire vivre une compagnie est devenu un vrai parcours du combattant. La restriction générale des budgets n'aide pas les jeunes artistes à trouver des espaces pour permettre à leur art de s'exprimer. Même les gens qui sortent de l'EPSAD (NDLR : Ecole Professionnelle Supérieur d'Art Dramatique, crée à Lille par Stuart Seide avec le Théâtre du Nord) ont aussi d'énromes soucis. Ce qu'a pu faire Julien Gosselin (NDLR : metteur en scène issu de l'EPSAD avec le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur des Particules élémentaires présenté au dernier festival d'Avignon) reste malheureusement une exception. Et pour en arriver là, il a du batailler lui aussi. Il en est de même pour de nombreux artistes aujourd'hui qui, bien que très talentueux, ne parviennent pas à trouver d'endroit pour s'exprimer ou vivre de leur art. Par ailleurs, le resserrement des budgets pousse aussi les artistes confirmés à chercher des dates dans d'autres lieux que des grandes maisons, ce faisant, ils prennent aussi la place de jeunes compagnies qui du même coup ne trouvent plus de salles pour diffuser leurs créations.
Quant aux intermittents, ils sont en train de mourir en silence. Le régime actuel n'en finit pas de se révéler inadapté et ce qui se profile en ce moment alarme tous les artistes. On nous demande sans cesse de faire autant avec moins et petit à petit c'est tout le secteur culturel qui s'appauvrit. Tous les acteurs du spectacle vivant sont unis sur ce sujet comme ils ne l'ont pas été depuis longtemps. J'espère que ce dialogue et cette cohésion dureront au-delà du combat du moment qui contribue à ressouder artistes, techniciens, lieux et compagnies. Cela rejoint un peu mon prochain spectacle : à quels moments des actes extrêmes deviennent-ils de moins en moins illégitimes dans une société vouée à l'écroulement ?