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L'image adolescente - BIP2018

Charlotte Beaudry, Carole Bellaïche, Sian Davey, Xavier Iistasse, Jean Janssis, Sarah Kaliski, James Mollison, Annie Van Gemert. Autour de la thématique de l’adolescence, La Châtaigneraie propose de découvrir une exposition qui réunit photographies, arts plastiques et vidéos.

C’est une évidence qui, pour ainsi dire au sens propre, crève les yeux : hyperconnectée, hypermédiatisée, hyperinquiète d’elle-même et de ses apparences, notre époque semble se montrer de plus en plus assoiffée, groggy, ivre peut-être, de jeunesse et de beauté. Ou plus exactement, d’icônes séduisantes et d’illusoire éternité. Les réseaux sociaux, la publicité et le marketing, les concours de miss et les diktats de la mode, les canons et les standards imposés par une esthétique dominante ou par son contraire… Très jeune, trop jeune peut-être, l’individu est amené à se positionner dans le paraître, bien avant de se poser les questions, pourtant inévitables, liées à l’être. L’enfant se projette dans l’adulte, jusqu’à s’y fracasser parfois; l’adulte croit se retrouver dans l’enfant, jusqu’à s’y abîmer bien souvent. Ou jusqu’à l’abîmer. Comme on le sait, il peut arriver que les extrêmes se touchent, se rejoignent pour s’annuler… Hypersexualisation et désexualisation. Hyperséduction et anti-séduction. Affirmation exacerbée ou négation de toute singularité. De scandales en fausses pudeurs, de crimes crapuleux en hypocrisie galopante, nos sociétés savent-elles encore s’adresser, sans l’agresser, à cette étape transitoire qui n’en est plus une, à cet idéal peut-être enfui?… cet « état d'adolescence mal défini » que cernait naguère avec justesse Philippe Azoury (dans Les Inrockuptibles), à propos du cinéma d’Harmony Korine: « jamais loin de l'erreur, toujours à deux doigts du sublime ».

Dans ce grand mélange, dans cette apparente confusion, on y perdrait aisément ses « jeunes »… Les identités sexuelles se brouillent, les états du corps, le témoignage des peaux ou l’âge de nos vertèbres deviennent des hypothèses, des conjectures, des virtualités. Les images passent, fulgurantes; elles nous rajeunissent de plus en plus aisément, mentent comme elles respirent, mais meurent et s’évanouissent aussi en accéléré. La photographie, la vidéo, mais également l’installation ou la peinture, avec le rapport plus distancié, plus « déposé » qu’elles entretiennent avec les réalités sociales qui nous entourent… tous les moyens d’expression semblent fascinés par la définition, ou la perte du fil, de cette période transitoire et combien essentielle, célébrée par les uns et honnie par les autres. Il est possible, comme le disait avec sagesse et ironie George Bernard Shaw, que l’adolescence ait longtemps été « cet âge où l’enfant commence à répondre lui-même aux questions qu’il pose ». Mais avons-nous encore le temps et le recul pour les questions? Ou l’enfant se voit-il adulte en croyant, sur son injonction, répondre à des questions qu’il ne prend plus même le temps de se poser — et qui ne le regardent plus, mais le transforment en pur objet du regard, entre vertige, déni et incompréhension.

Des photos d’enfants, naïves ou pas, de baptêmes ou de communions, de vacances ou d’anniversaires, nos albums de famille en regorgent! Et nos dossiers d’images numériques, à présent, les avalent, à peine digérées. Mais si la quête de l’image de soi est un processus psychologique élémentaire et complexe, constitutif de l’individuation, la figure de l’enfance, le statut de la jeunesse, la crainte de la mort et des ravages du temps, ont toujours hanté les artistes et questionné les créateurs. De façon inspirée, souvent; ambiguë, parfois; ou même contradictoire. Surprotégé à gauche, exploité à droite, incompris ici, bafoué ailleurs, l’enfant est-il encore le dépositaire des croyances du monde, ou est-il devenu le honteux réceptacle de ses échecs, de son impuissance, de ses pulsions inavouées?

Oui, finalement l’éternelle adolescente, d’une immaturité scandaleuse, d’une intime fragilité, mais d’une insondable et dangereuse séduction, c’est bel et bien l’image elle-même. Mais cet adulte qui a peur de grandir, cet enfant qui redoute de mourir… est-ce nous qui le regardons, ou lui qui nous regarde? Poser la question, c’est déjà renoncer à y répondre.

Emmanuel d'Autreppe

Publié le 28/02/2018


Mots clés : photo